Depuis la mi-janvier, Joseph Kabila est devenu président honoraire de la République démocratique du Congo, cédant son siège à Félix Tshisekedi au terme d’un scrutin présidentiel des plus… étonnants.

Plus de six mois après le scrutin, ni la Commission électorale nationale indépendante (Ceni), ni la Cour constitutionnelle, qui ont confirmé la victoire de Félix Tshisekedi à la présidentielle et le raz-de-marée de la plateforme électorale de Kabila (le Front commun pour le Congo – FCC) aux législatives, n’ont publié le moindre procès-verbal de ces scrutins. L’ancien régime de Joseph Kabila s’en accommode très bien. S’il a dû céder la présidence, il a conservé un pouvoir absolu au Parlement congolais, avec plus de 350 strapontins sur 500 à l’Assemblée nationale et plus de 90 sénateurs sur les 106 que compte cette assemblée.

Depuis l’intronisation de Félix Tshisekedi, Joseph Kabila a démontré à plusieurs reprises qu’il menait le bal, s’arrogeant pratiquement tous les postes de gouverneurs de provinces, désignant à sa guise la présidente de l’Assemblée nationale, son Premier ministre ou même le patron des services de renseignements.

Reste un poste clé, le perchoir du Sénat. Un poste promis de longue date à un homme de confiance, Alexis Thambwe Mwamba, ancien ministre de la Justice et exécuteur des basses besognes de la Kabilie tout au long de son mandat. C’est lui, notamment, qui avec son titre de garde des Sceaux a empêché les principaux opposants (Jean-Pierre Bemba et Moïse Katumbi) de se présenter au scrutin du 30 décembre dernier.

Mais l’attribution de ce dernier strapontin, particulièrement stratégique en cas de vacances de pouvoir à la présidence de la République, suscite la polémique dans les rangs de la plateforme politique de Joseph Kabila.

Modeste Bahati, ancien ministre du Plan, ministre d’État et désormais ministre de l’Économie s’y verrait bien. L’homme du Sud-Kivu dispose d’une véritable assise populaire dans sa province et au-delà et, surtout, il a réussi à implanter sa formation politique dans tout le pays ou presque. Il est ainsi devenu avec sa formation AFDC et ses alliés, la seconde force politique du FCC sans en être récompensé par un poste en vue.

Kabila ne peut céder

Joseph Kabila ne veut rien entendre. Il a promis ce poste à Alexis Thambwe, un fidèle qu’il aurait aimé installer à la présidence. Un scénario qu’il a dû revoir sous la pression de son premier cercle, optant finalement pour Emmanuel Ramazani Shadary . Un renoncement qui s’est répété sur le choix de « son » Premier ministre, cette fois sous la pression internationale. Son favori, Albert Yuma, étant laissé sur le carreau au profit d’un Sylvestre Ilunga apparaissant d’entrée comme un choix par défaut. Une nouvelle marche arrière pourrait apparaître comme une faiblesse et surtout, aujourd’hui, Kabila est convaincu que chaque fois qu’il a s’est laissé dicter ses choix, ceux-ci se sont montrés catastrophiques.

Modeste Bahati, lui non plus, ne peut faire marche arrière. L’homme a osé défier l’ex-raïs et il ne peut retourner devant ses électeurs sans disposer d’un strapontin de choix ou sans s’être battu jusqu’au bout pour défendre ses droits. Le divorce est donc consommé.

Modeste Bahati et son AFDC ont quitté le navire du FCC et veulent voguer en solo entre les deux plateformes politiques qui constituent la majorité présidentielle. Une troisième force qui va infléchir l’asymétrie qui régnait entre les deux actuelles composantes de cette majorité entre le FCC tout-puissant et le Cach (la plateforme de Tshisekedi) contraint de se contenter de quelques miettes. En quittant le FCC, naturellement, Bahati va se rapprocher du Cach dont le cofondateur, Vital Kamerhe, est issu comme lui du Sud-Kivu. Une proximité géographique qui peut donner des idées d’alliance ? “En politique, on ne sait jamais”, répond Modeste Bahati qui ajoute que des appels du pied lui ont déjà été faits, sortant ensuite sa calculette pour rappeler qu’au sein du FCC, “le parti de Kabila et ses satellites ne disposent que d’un tiers des voix”, avant d’ajouter : “Même dans le premier cercle du pouvoir, certains en ont assez de la dictature de Kabila.” « Même au sein de ceux qui n’ont pas été oubliés par la distribution des postes, la fatigue est palpable », ajoute un proche de Bahati.

Mécontentement et portes de sortie

Depuis plusieurs semaines le mécontentement est de mise au sein du parti de Joseph Kabila. “La désignation de Jeanine Mabunda à la tête de l’Assemblée nationale a fait des aigris ; idem pour la désignation du Premier ministre”, explique un habitué du pouvoir à Kinshasa. “Si Bahati va au scrutin pour la présidence du Sénat, il l’emportera”, pronostique un autre témoin de la scène politique. Un scénario qui affaiblirait considérablement Joseph Kabila et intensifierait encore les tractations en coulisses de certains caciques de son parti qui cherchent déjà des portes de sortie.

Dissolution de l’Assemblée nationale?

De son côté, Félix Tshisekedi, son successeur à la tête de l’État, claironne que son entente avec son prédécesseur est “sans nuage”, tout en freinant des quatre fers pour la mise sur pied du gouvernement. Un futur gouvernement dont l’équilibre sera inexorablement modifié par le divorce entre le FCC et Bahati. Ce dernier ne lâchera rien. Kabila devra donc encore faire des mécontents dans sa propre famille, ce qui intensifiera encore la tendance à l’exode ou à la préparation de l’exode. Sans oublier qu’un an après son installation Félix Tshisekedi peut constitutionnellement demander la dissolution de l’Assemblée nationale si des tensions persistent entre l’exécutif et le législatif. Un scénario impensable jusqu’à ce départ de Bahati mais qui acquiert désormais une autre résonance.

La Libre Afrique

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