La polémique créée la semaine dernière par des propos du président hors mandat Joseph Kabila lors d’une rencontre avec sa Majorité parlementaire, propos stigmatisant l’ethnie nande (majoritaire au nord du Nord-Kivu, est de la République démocratique du Congo), se poursuit, voire même enfle.
Le 16 avril, 13 parlementaires du Nord-Kivu, issus de l’opposition et de la Majorité présidentielle, ont signé une lettre de protestation après qu’une nouvelle motion de censure issue de l’opposition – cette fois contre le ministre de la Défense, sommé de s’expliquer sur l’impuissance de l’armée congolaise à mettre fin aux massacres de populations dans la région de Beni (Nord-Kivu) – ait été court-circuitée.
La lettre s’inquiétait en outre de propos tenus par le chef de l’Etat lors de sa rencontre, quelques heures auparavant, avec des parlementaires de sa Majorité, « stigmatisant le groupe ethnique Nande ». « Ces propos tenus par le chef de l’Etat plantent le décor d’un amalgame ethniciste dangereux, qui peut avoir des conséquences génocidaires dramatiques sur le terrain », avaient-ils accusé.
Selon les commentaires diffusés depuis lors, le chef de l’Etat n’aurait pas « digéré » l’incendie d’une de ses résidences privées, située en pays nande, à Musienene, près de Lubero, le 25 décembre dernier, par des Maï Maï (combattants mi-politiques, mi-gangsters), ni l’attaque d’une de ses fermes, à Kabasha, près de Béni, le 29 mars dernier, au cours de laquelle plusieurs de ses têtes de bétail auraient été volées. Il aurait rendu responsables de ces attaques les Nandes « qui vont partout » (c’est une très dynamique ethnie commerçante) « mais ne veulent pas qu’on s’installe chez eux ».
L’affaire n’est pas terminée et la polémique enfle.
Les bienfaits de Kabila
Deux jours plus tard, en effet, un conseiller nande du cabinet du président Kabila, Leonard Kambere, publiait une lettre ouverte aux 13 parlementaires kivutiens, soulignant qu’ils n’étaient que 13 sur les 29 parlementaires de cette province et qu’un seul parmi eux était issu des rangs de la Majorité présidentielle. Et de rappeler ce que M. Kambere considère comme des bienfaits de Joseph Kabila à l’égard des Nandes: sa contribution financière à la construction de deux auditoires à l’Université du Graben, à Butembo; l’asphaltage d’un boulevard à quatre bandes dans la même ville; l’asphaltage de 60 km de route entre Beni et Kisangani; la présence de 3 Nandes sur les 6 ressortissants du Nord-Kivu dans le cabinet du chef de l’Etat à Kinshasa; la présence de 5 Nandes au gouvernement en 2005 – nombre qui a diminué à 1 aujourd’hui. Ces rappels n’ont pas calmé la colère.
Sur les réseaux sociaux, en effet, des internautes ont fait valoir que le chef de l’Etat n’hésitait pas à faire abattre des bâtiments, dans le pays, pour « s’attribuer des terres » au détriment des populations locales. L’un d’eux cite, au Sud-Kivu, la prochaine démolition du Collège technique Ste-Anne à Mbobero, près de Bukavu.
Stigmatisation ethniste
L’organisation de la société civile Lucha (Lutte pour le changement) a, de son côté, diffusé lundi 23 avril une caricature (voir ci-dessous) illustrant le silence du chef de l’Etat face aux massacres de Beni-Lubero (un millier de morts) durant les années 2014-2017, et sa colère lorsqu’on s’en est pris à sa résidence et à son bétail.
Selon Lucha, Joseph Kabila aurait « rejeté la responsabilité des massacres dans la région de Beni sur les habitants de cette région et spécialement sur la communauté Nande. Il est allé plus loin en insinuant que les autres communautés ethniques à travers le pays pourraient s’en prendre aux Nandes. Lucha accuse le chef de l’Etat d’être « le premier responsable de ce qui se passe à Beni-Lubero », alors que « les populations congolaises, et celles du Nord-Kivu en particulier, sont avant tout victimes des violences et des manipulations dont Joseph Kabila et ses complices sont les instigateurs ou qu’ils ont été incapables d’arrêter en une décennie et demi de présidence ».
Appel à la Cour pénale internationale
L’organisation affirme que « les Congolais et les Congolaises sont de plus en plus conscients » que « la haine et les divisions, notamment ethniques, sont une des armes favorites dont se servent les prédateurs comme Joseph Kabila ». Et d’appeler « toute la communauté nationale » à dénoncer la stigmatisation des Nandes par le chef de l’Etat.
Lucha juge en outre les 13 parlementaires « hypocrites » parce que hors mandat eux aussi, comme Joseph Kabila, ils continuent de siéger au parlement; « c’est se rendre complices ». Et de les appeler à « démissionner ». L’organisation demande enfin une enquête internationale « sur les massacres et les crimes graves perpétrés en RDC depuis 2003 », éventuellement par la Cour pénale internationale.
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