Sindika Dokolo, initiateur du mouvement citoyen “Les Congolais debout”, a salué ce lundi 4 mars 2019 l’alternance au sommet de l’Etat après une longue lutte menée par les forces vives de la société civile et politiques congolaises. Dans une interview à actualite.cd, il évoque aussi les “signaux forts” du changement lancés par le président de la république, Félix Tshisekedi lors de la présentation de son programme d’urgence samedi dernier à Kinshasa. Mais au-delà de l’alternance politique, M. Dokolo souligne que les Congolais attendent les “solutions concrètes à leurs problèmes”.

Aujourd’hui la RDC a un nouveau président de la République qui s’appelle Félix Tshisekedi. Pour vous est-ce-que le combat mené depuis quelques mois par votre mouvement citoyen a été payant ?

Il l’a été en partie parce qu’un des objectifs principaux de notre engagement dans la société civile avait été que les fameuses élections se tiennent et qu’il n’y ait pas de troisième mandat ou de modification de la constitution. De ce point de vue-là, ça été fait. Mais on regrette le fait que les élections aient été mal organisées, de manière délibérée et ça contribue à affaiblir l’Etat et à rendre le changement difficile à entreprendre. Parce qu’effectivement, c’est ça l’enjeu d’avoir les élections. C’était d’avoir un nouveau pouvoir parce qu’on s’était rendu compte qu’après presqu’une vingtaine d’années de Kabilisme, il était temps que le pays prenne une nouvelle voie qui soit plus orientée autour du respect de texte, de droit des citoyens, du renforcement de l’état de droit, de la réforme de la justice, de plus de transparence et de meilleure gouvernance. C’était important que les élections donnent la légitimité à un nouveau pouvoir d’engager ces réformes-là. Or effectivement, c’est vrai qu’on doit saluer le fait qu’il y a eu une alternance au sommet de l’Etat mais aujourd’hui, il y a un grand défi à relever qui est celui du changement parce que fondamentalement l’alternance ne se mange pas. Aujourd’hui, les Congolais ont besoin d’avoir des solutions concrètes à leurs problèmes, on a des problèmes sociaux qui sont criants, on a des problèmes de pauvreté, on a des problèmes d’éducation, de dignité humaine, de stabilité et de sécurité de notre territoire. Toutes ces questions sont des grands chantiers pour lesquels la société civile va s’engager auprès de nouvelles autorités pour pouvoir offrir des solutions concrètes dans l’amélioration du quotidien des congolais.

Pour vous, il se pose aujourd’hui une crise de légitimité au pays ?

La crise de légitimité est là puisqu’on a une personne en tout cas, ou un certain nombre de personnes qui remettent en cause le résultat de l’élection. Nous, en tant que société civile nous avons déploré la mauvaise organisation des élections, nous étions déjà en train de la dénoncer avant en disant qu’il y a des mécanismes de stratégies qui avaient été créés par le pouvoir afin justement de ne pas laisser s’organiser de vraies bonnes élections et pour pouvoir essayer de toujours jouer un rôle de maintenir une forme de pouvoir de nuisance. Nous saluons d’un autre côté le fait qu’il y a eu des signaux très forts qui ont été envoyés par le nouveau président notamment dans l’annonce des cent jours. On a le sentiment qu’il y a une vraie volonté d’assumer les responsabilités et il y a un nouveau pacte républicain qui est célébré entre la population congolaise et le nouveau président qui très clairement est organisé autour des principes fondateurs forts qui sont : le renforcement de l’état de droit : il a dit plus des prisonniers politiques, les exilés doivent rentrer. C’est un message qui est très fort et on espère que le plus rapidement possible ce sera traduit dans des faits et il a appris des engagements concrets avec des dates en disant : ça c’est mon programme de cent jours, les actes que je compte poser ; deuxièmement il y a un vrai souci du social avec des engagements qui étaient très concrets. Là encore ce n’est pas évident, parce qu’effectivement ça suppose des moyens mais déjà le fait que la volonté politique soit là, c’est important ; troisièmement, il y a un autre aspect qui, je pense très important, c’est que là où nous, la société civile, étions un peu inquiet dans l’idée qu’il y avait un accord politique parce que le président entendait que c’était important qui ait une transition pacifique. Ce qui n’est pas mauvais en soi, mais nous avions dit que ça ne pouvait pas être fait au coût de la justice. Donc ce n’était pas possible qu’on dise que sous prétexte qu’il fallait une transition pacifique qu’il y avait l’impunité. De ce point de vue-là, les premiers signaux qui sont avancés par le pouvoir sont importants. Il a dit qu’il n’y aura pas la chasse aux sorcières mais il est clair que les méthodes du passé ne peuvent pas continuer et qu’il peut y avoir aucun citoyen qui peut être privé du droit de demander justice ou réparation pour des dommages ou de sévices qu’il aurait subis. Donc ça, je pense que ça va dans un sens qui est positif. Jusqu’ici le président de la République nous étonne positivement.

Etes-vous prêt aujourd’hui à travailler avec Félix Tshisekedi et dans quel cadre précisément ?

Vous savez la société civile s’accorde à des principes et à des institutions. Elle ne s’accorde pas justement à des individus. Donc il ne s’agit pas de dire : je suis contre tel individu ou pour tel individu. On est effectivement pour certains principes et à la différence des politiciens, la société civile se veut un outil qui permet de refléter des inquiétudes, des préoccupations ou des questionnements de la population. La population est toujours là, les institutions sont toujours là donc la société civile doit continuer à jouer son rôle. De ce point de vue-là, quand nous allons évidemment travailler avec le président Tshisekedi, nous ne le ferons pas dans le sens d’être pour lui ou contre lui parce que nous n’avons pas une approche qui est une approche des parties mais par contre, nous allons clairement saisir la main qui a été tendue par lui, pour dire nous voulons créer un Congo différent du précédent (celui du Monsieur Kabila), là où il y a une plus grande liberté d’expression et un plus grand dialogue. Ça, pour nous, est très important car l’analyse que nous faisons du processus politique, c’est que les élections ont été possibles grâce à l’engagement de tout le monde. Des partis politiques mais aussi beaucoup de la société civile. Par exemple le rôle de l’église catholique qui a été absolument déterminant que ce soit au niveau de l’accord de la Saint-sylvestre mais que ce soit aussi pour arriver à mettre les gens dans la rue. Nous, nous avons la certitude que si ça n’a pas été pour la société civile notamment l’église catholique, les élections n’auraient pas eu lieu. Donc aujourd’hui il y a un pacte républicain qui est un peu différent dans la mesure où il ne s’agit plus maintenant d’avoir les politiciens qui nous disent : nous, on a le pouvoir. Ce n’est pas ça, tous ensemble, main dans la main on va pouvoir construire un Congo meilleur. Nous saluons d’abord l’ouverture et la main tendue du président Tshisekedi et évidemment de notre rôle aussi la société civile, c’est ce que nous réclamons, d’avoir une plate-forme des débats qui soit plus ouverte où toutes les grandes questions nationales seront débattues. Nous allons saisir la main tendue et nous allons travailler avec le président Tshisekedi et tout ce qui sera des initiatives qui vont dans le sens du changement, du mieux-être, nous les encourageons et nous allons évidemment participer.

Quand est-ce-que Sindika Dokolo rentrera en RDC ?

Très bientôt, tous les signaux ont été envoyés positivement, disant : c’est fini les persécutions politiques, c’est fini les faux procès. Moi, je pense c’était quelque chose de fondamental en terme de symbole de dire c’est fini maintenant les gens qui, parce qu’ils ont une opinion ou parce qu’ils tiennent des propos qui gênent on va se débrouiller pour instrumentaliser la justice pour les faire taire ou les oublier à l’exil. Moi, dans ce cadre-là, évidemment, je vais rentrer. Mais je pense que c’est important de signaler que ce n’est pas le problème de ma petite personne. Moi, je suis un congolais debout parmi les autres et les Congolais debout ont toujours été présents sur le terrain (…). Même si du point de vue du symbole, moi, je pense que c’est très fort de dire que Sindika Dokolo parmi tant d’autres qui avaient vraiment été isolés ou combattus par la Kabilie que moi, je considère être la dictature, aujourd’hui c’est un signal très fort qu’on puisse rentrer. Mais du point de vue du mouvement, ce n’est pas très important que l’individu puisse rentrer puisque le mouvement fonctionne toujours. Mon retour n’est qu’une question de semaines. Pour moi, si je pouvais rentrer demain, je rentrerai demain surtout que j’ai une double casquette. C’est vrai que je suis engagé dans le mouvement citoyen mais dans la vie, je suis un homme d’affaires, je suis l’enfant d’un homme d’affaires. Je suis un de quelques Congolais qui ont eu l’occasion de pouvoir évoluer à l’étranger, d’acquérir des connaissances, un savoir-faire et des moyens techniques qui me permettraient de venir valablement contribuer à l’effort du développement de la RDC.

Quels sont vos projets en tant qu’homme d’affaires pour la RDC ?

La RDC est un océan d’opportunités, mais des opportunités qui sont délaissées et abandonnées parce que les valeurs qui ont jusqu’ici prévalues à la gestion de la chose publique ont été d’un intérêt personnel, la corruption, la megestion. Je suis de ceux qui pensent que le Congo sera avant tout reconstruit par les Congolais. Quand vous avez un homme d’affaires congolais qui vient au Congo, c’est vrai qu’il va toujours développer des opportunités en fonction de là où c’est le plus intéressant pour lui. Mais nous, ce qui nous anime, ce n’est pas seulement dans le sens de l’opportunisme, mais un amour de notre pays, une volonté de développer notre pays. Nous, nous attendons qu’il y ait une vision qui soit claire, qui soit expliquée par la nouvelle gouvernance : de dire quelles sont nos priorités, quels sont nos grands axes, quels sont les mécanismes qu’on veut mettre en place pour arriver à développer une classe d’hommes d’affaires nationaux. C’est dans ce cadre-là que je voudrais aller m’exprimer. D’un point de vue personnel, moi, j’ai un point qui est très cher à mon cœur. C’est la question de la banque de mon père qui a été confisquée dans des conditions qu’on sait et mon premier combat par rapport au Congo, c’est la réhabilitation du nom de mon père et de son héritage moral. Un de mes premiers projets sera d’essayer de redévelopper la banque de mon père. Mais il y a d’autres projets dans lesquels j’ai acquis un vrai savoir-faire, une vraie capacité. J’ai des intérêts dans des sociétés qui développent des projets comme par exemple, la structuration du financement et la réalisation des barrages électriques. Aussi dans le domaine minier, et dans l’agriculture (…). L’agriculture peut nous permettre de donner énormément d’emplois, et d’un point de vue macroéconomique d’améliorer notre balance commerciale et d’atteindre un objectif que je n’ai pas suffisamment entendu au Congo.

Quel message à Jean Pierre Bemba, Moise Katumbi et Martin Fayulu ?

Je pense que le premier message à envoyer à toutes ces personnes-là, c’est d’abord en tant que Congolais les remercier parce qu’on parle toujours de Monsieur Kabila et tout le monde lui a rendu hommage mais je pense qu’on n’a pas suffisamment rendu hommage à ceux qui ont été les acteurs politiques de l’opposition qui ont aussi rendu possible le processus électoral et notamment saluer tous ceux qui ont eu la sagesse de le faire de manière très démocratique et avec une grande abnégation. Et beaucoup d’entre eux sont sacrifiés. Dans le cadre de Moise Katumbi et Jean Pierre Bemba, ils ont mis leurs intérêts et leurs stratégies personnelles derrière ou en dessous de l’intérêt commun (…). A la fois je salue leur patriotisme, leur abnégation et en même temps je les invite à jouer un rôle qui soit vraiment constructif pour le Congo puisqu’à la fin, c’est ça qui est important.

Interview réalisée par Stanis Bujakera à Bruxelles
Actualite.cd

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