La dépouille de l’ancien Premier ministre Patrice Emery Lumumba, assassiné le 17 janvier 1961 dans l’actuelle province du Haut-Katanga, a été restituée lundi à sa famille, lors d’une cérémonie privée au Palais d’Egmont à Bruxelles, et ensuite à la République démocratique du Congo, en présence des Premiers ministres congolais Jean-Michel Sama Lukonde et belge Alexander De Croo.

A cette occasion, le procureur général belge Frédéric Van Leeuw a remis aux trois enfants de Patrice Lumumba – François, Roland et Juliana – un coffret contenant une dent du Héros national congolais. Cette relique, rappelle-t-on, avait été saisie en 2016 par la justice belge chez la fille de Gérard Soete, un policier belge qui avait été chargé de faire disparaître dans l’acide, après l’exécution, les corps découpés de Patrice Lumumba et de ses deux compagnons, Maurice Mpolo et Joseph Okito, respectivement ministre de la Jeunesse et des sports et 2ème vice-président du Sénat. Le policier devenu commissaire de police, avait déclaré en 2000, avoir prélevé deux dents mais n’avoir conservé qu’une.

Une cérémonie de haute importance

Lors de la cérémonie de lundi, le Chef du gouvernement belge a évoqué, dans son discours, « une cérémonie de haute importance pour la famille Lumumba, pour le Congo, pour les relations entre le Congo et la Belgique et pour les deux peuples ».

M. De Croo a trouvé « anormal » que la dépouille de Patrice Lumumba a été conservée en Belgique pendant 61 ans « dans des circonstances obscures ». Il a souligné le temps trop long qu’il a fallu pour cette restitution : « Beaucoup trop tard », a-t-il relevé. « Car, non, il n’est pas normal que la dépouille de l’un des Pères fondateurs de la nation congolaise ait été conservée six décennies durant par des Belges ». « C’est une vérité douloureuse et désagréable. Mais elle doit être dite », a-t-il affirmé.

Avec la restitution de la relique du premier Premier ministre congolais, les deux pays peuvent « enfin tourner une page de l’histoire commune et commencer un nouveau chapitre », a indiqué le chef du gouvernement belge.

Il a présente à son tour ses excuses au nom du gouvernement belge, pour la manière dont celui-ci a pesé sur la décision de mettre fin aux jours du Premier ministre du Congo. Selon M. De Croo, les Belges « auraient dû refuser d’aider à transférer » Lumumba et ses compagnons.

Le premier ministre belge a aussi rendu un « un hommage appuyé » aux deux compagnons d’infortune de Patrice Emery Lumumba, Maurice Mpolo et Joseph Okito, assassinés le même jour et dans les mêmes circonstances. Il a enfin appelé les Congolais et les Belges à « regarder notre passé droit dans les yeux, avec un objectif : c’est de tourner la page et d’entamer un futur ensemble ».

Par ailleurs, évoquant la colonisation belge au Congo, M. De Croo a noté que la période coloniale, comme toute époque de l’Histoire, est soumise à interprétation et réinterprétation. « Néanmoins, a-t-il déclaré, déjà à l’époque de l’État indépendant du Congo (EIC, 1885-1908), de nombreuses voix se sont élevées pour dénoncer les abus et les violences. Ces voix ne se sont plus jamais tues », a-t-il souligné.

Tisser de nouveaux liens entre les deux peuples

Prenant la parole à son tour, le Premier ministre Sama Lukonde a souligné sa « forte émotion » de prendre la parole au Palais d’Egmont, « ce lieu chargé de souvenirs ». Il a déclaré être venu, au nom Président de la République et du peuple congolais récupérer la dépouille de Patrice Lumumba pour un deuil national.

Avec la restitution de cette dépouille, la RDC retrouve un maillon manquant dans son histoire, a relevé le Premier ministre qui a souligné, en allusion à la situation actuelle dans l’Est de la RDC, que Patrice Lumumba a été, en 1959, le premier acteur politique congolais à s’être prononcé contre la balkanisation du Congo.

Il a souligné le devoir de « préserver l’intégrité du territoire congolais face aux appétits extérieurs, rappelant que le pays subit actuellement une « nouvelle agression » dans sa partie orientale. Le chef du gouvernement congolais a appelé à une nouvelle entre la RDC et la Belgique. « Il faut tisser de nouveaux liens entre les deux peuples, entre le Congo au cœur de l’Afrique et la Belgique au cœur de l’Europe », a-t-il indiqué.

Des propos pleins d’émotion de Juliana Lumumba

Pour sa part, Juliana Lumumba, au nom des enfants et des petits enfants, a regretté que 61 ans durant, la famille, mais aussi le Congo, l’Afrique et le monde, ont « continué à se poser des questions autour des circonstances de la mort » de cet illustre personnage, alors que la famille, elle, n’avait jamais prononcé d’oraison funèbre. « Père, comment es-tu mort, on ne sait pas. Quand es-tu mort, on ne sait pas, où as-tu été assassiné, on ne sait pas non plus. Qui t’ont assassiné, on cherche encore », a-t-elle questionné avant de souligner que « tout ce que nous savons, c’est que tes bourreaux t’ont condamné à être âme en perpétuelle errance, un héros avec une « dépouille sépulturale » sous séquestre de la justice ».

Elle a par ailleurs révélé qu’il y a deux ans, la famille a écrit au roi Philippe que « notre devoir d’enfant était de rendre hommage à notre père en lui offrant une sépulture digne ». Elle ajoute : « La réponse du roi, c’est la cérémonie solennelle de ce jour ». Aussi a-t-elle adressé, au nom de la grande famille du Congo, ses remerciements au roi des Belges, qui a montré un intérêt remarquable, ainsi qu’au gouvernement belge et à son Premier ministre pour leur délicate attention qui, à son avis, a adouci la douleur et l’amertume de la famille.

Elle a particulièrement adressé un message de gratitude au Président de la République Félix Antoine Tshisekedi, pour sa « continuelle main tendue » et ses fraternels messages qui, reconnaît-elle, ont été d’un grand réconfort pour la famille, sans oublier toute la sollicitude reçue du gouvernement congolais tout au long de la procédure ayant conduit à la cérémonie de ce jour et, plus encore, jusqu’à la fin des festivités.

A l’issue de la cérémonie officielle, le cercueil en bois, emmené spécialement du Congo, a été porté du Salon des Dames vers la cour d’honneur pour les hymnes nationaux de la RDC et de la Belgique, devant les Premiers ministres des deux pays, Alexander De Croo et Jean-Michel Sama Lukonde, l’ensemble des membres de la famille Lumumba présents ainsi qu’une foule nombreuse des Congolais, massés sur les lieux depuis les premières heures du matin.

Le cortège du Premier ministre congolais, précédé du corbillard, s’est par la suite ébranlé du Palais d’Egmont en direction de l’ambassade congolaise pour enfin commencer le deuil, avant l’embarquement de la dépouille mardi pour la République démocratique du Congo où se poursuivront les cérémonies, le 22 juin à Lumumbaville Onolua, lieu de naissance de Patrice-Emery Lumumba, le 24 juin à Kisangani, son fief politique, le 25 juin au Site de Shilatembo, à 15 km de l’aéroport de Lubumbashi, où il avait été assassiné le 17 janvier 1961, et enfin à Kinshasa, où sera déclaré un deuil national avant la mise en terre de la dépouille, le 29 juin au « Mémorial Patrice-Emery Lumumba », à l’échangeur de Limete.

Né le 2 juillet 1925 à Onalua, dans l’actuelle province du Sankuru, Patrice Lumumba devient, le 30 juin 1960, le premier Premier ministre du Congo indépendant. Il est révoqué de ses fonctions le 4 septembre 1960, par le Président Joseph Kasa-Vubu, l’une des principales figures de l’indépendance du Congo belge, et remplacé par Joseph Ileo.

ACP

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