Le directeur de cabinet du nouveau président congolais et ex-homme fort du régime Kabila est soupçonné d’importants « détournements de fonds publics ».

Complot politique ou opération « mains propres » ? Passionnée par les débats politiques, la capitale congolaise oublierait presque sa lutte contre le coronavirus pour discuter du sujet. Tout commence dans la soirée du 8 avril. Alors que la rumeur enfle depuis le milieu d’après-midi, la confirmation finit par tomber : Vital Kamerhe, le tout-puissant directeur de cabinet du président Félix Tshisekedi est arrêté et placé en détention à la prison centrale de Makala. Une première dans l’histoire de la République démocratique du Congo (RDC).

Au cœur du scandale : l’ambitieux Programme des cent jours lancé par le président de la République dès son arrivée au pouvoir début 2019. Il s’agit d’un vaste plan d’investissements pour moderniser les infrastructures du pays et achever un certain nombre de projets commencés par son prédécesseur, Joseph Kabila.

Des centaines de millions de dollars sont décaissés pour la construction de ponts urbains à Kinshasa, de routes dans les provinces ou encore de maisons préfabriquées. Vital Kamerhe supervise le tout. C’est à ce titre qu’il est convoqué début avril par le parquet général près la cour d’appel de Kinshasa-Matete. Entendu au départ comme simple « renseignant », il est désormais soupçonné d’importants détournements de fonds.

Les premiers dysfonctionnements sont pointés du doigt dès les premiers mois de travaux. Des organisations comme l’Observatoire de la dépense publique (ODEP) dénoncent des surfacturations et un problème d’opacité dans les attributions de marchés. A Kinshasa, la construction des « saute-mouton », ces ponts urbains conçus pour désengorger les axes principaux, piétine et crée des embouteillages monstres. La population est excédée. « Je pense que ça a été un tournant décisif », analyse Georges Kapiamba, de l’Association congolaise pour l’accès à la justice (ACAJ), « des Kinois ont commencé à enlever la tôle autour des chantiers, et on s’est rendu compte que beaucoup étaient à l’arrêt. Il était impossible de ne pas réagir ». Le chef de l’Etat congolais annonce en conseil des ministres un audit sur les travaux.

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« Corruption institutionnalisée »

Ces scandales entachent le début de mandat d’un président qui avait fait du rétablissement de l’Etat de droit sa priorité. La RDC est classée 168e sur 180 dans l’indice de perception de corruption de l’organisation Transparency International. « La corruption est institutionnalisée à tous les niveaux, et il y a un vrai manque de contrôle avec des organismes comme la Cour des comptes qui sont complètement muselés », détaille Valéry Madianga, porte-parole de l’ODEP.

C’est d’ailleurs ce qui effraie les investisseurs étrangers et laisse la RDC au bord du défaut de paiement. Le président a besoin d’argent pour financer son programme. Pendant sa première année, il a multiplié les voyages à l’étranger. Mais ses partenaires, Etats-Unis et FMI en tête, exigent plus que de simples promesses pour s’impliquer. Ce qui a amené Félix Tshisekedi à procéder en janvier à des nominations de hauts magistrats, comme le procureur général près la Cour de cassation, Victor Mumba.

Le président doit aussi réparer des erreurs internes. Nicolas Kazadi, proche conseiller engagé sur le Programme des cent jours, reconnaît que « le choix des prestataires n’a pas été transparent. On a travaillé dans l’urgence, mais cela ne justifie pas tous ces manquements. On a entendu les critiques, mais on a réagi trop tard ». Ce programme aurait pu marquer un tournant avec la génération précédente. Mais ça n’a pas été le cas.

Une enquête judiciaire est donc finalement lancée fin février et plusieurs arrestations ont lieu avant celle de Vital Kamerhe. Thierry Thaeymans, directeur général de la Rawbank, la principale banque de RDC, ainsi que David Blattner, Jammal Samih et Mutima Sakrini, d’autres dirigeants de grosses entreprises impliquées dans ces travaux ont eu à répondre d’accusations de détournements de fonds. Thaeymans et Blattner, eux, ont été libérés sous caution quelques jours après leur arrestation.

Vital Kamerhe espérait le même traitement, mais le 1 avril sa détention préventive a été prolongée de quinze jours. Preuve, selon son avocat John Kaboto, d’un acharnement contre son client. « Toutes les conditions qui pouvaient motiver le juge de lui accorder une liberté provisoire sont réunies. Avec l’état d’urgence et la fermeture des frontières, il ne va pas s’enfuir, donc je ne comprends pas pourquoi il n’est pas libéré. » Ses avocats s’étonnent aussi qu’aucun ministre n’ait été arrêté, alors que Vital Kamerhe lui-même n’a pas signé les passations de marché. Malgré sa détention, le directeur de cabinet du président est d’ailleurs toujours en poste avec un intérim assuré par son adjoint, pour une durée maximale de trois mois.

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« Bandits en cravates »

Au sein du camp Kamerhe, beaucoup crient donc au complot. Le porte-parole du parti Sele Yemba voit dans l’arrestation de son leader « un dossier éminemment politique » piloté par la présidence. « Il s’agit d’éliminer Vital Kamerhe de la course pour la présidentielle de 2023 ». Yemba fait d’ailleurs référence à l’« accord de Nairobi », conclu entre Felix Tshiseked et Vital Kamerhe en novembre 2018 qui stipule que le second aiderait le premier à obtenir le pouvoir en 2019, et que les rôles s’inverseraient lors de l’élection suivante.

Les associations qui plaident depuis des années pour la fin de l’impunité ne savent plus vraiment sur quel pied danser. Jean-Jacques Lumumba, petit-neveu de l’historique premier ministre du Congo indépendant, veut lire dans cet épisode un tournant encourageant. « A l’époque de Kabila, on n’aurait jamais vu un directeur de cabinet ou un patron de banque être inquiété. Des petits bandits étaient arrêtés, mais pas des bandits en cravate. Donc nous disons bravo, mais nous voulons que la justice soit impartiale, sinon cela donnera raison à tous ceux qui crient à l’acharnement. Il faut maintenant s’occuper de toutes les affaires et laisser travailler la justice. »

Les organisations citoyennes demandent que les principaux dossiers de présumés détournements de fonds sous l’ère Kabila soient rouverts. Une opération « mains propres » d’autant plus hypothétique que le président Tshisekedi avait précisé en septembre 2019 qu’il n’irait pas « fouiner dans le passé ».

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Juliette Dubois
Le Monde / MCP

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