Dans son discours à la nation, lundi, Félix Tshisekedi s’est engagé à veiller à ce que l’armée ougandaise, qui a débuté le 30 novembre une intervention en territoire congolais, ne reste dans le pays que le temps nécessaire à la lutte contre les rebelles ADF. L’armée ougandaise, elle, se refuse à fixer une limite à sa présence. De quoi réveiller toutes les suspicions congolaises à l’encontre de l’encombrant voisin – qui doit payer des millions de dollars de dédommagements à Kinshasa.

Implantées depuis la fin du siècle dernier à l’est du Congo (Nord-Kivu et Ituri), les ADF (Allied Democratic Forces) y avaient trouvé refuge pour mener des attaques contre des cibles en Ouganda. Le groupe armé avait ensuite été sévèrement affaibli par l’armée ougandaise qui occupa cette région du Congo, frontalière avec l’Ouganda, jusqu’en 2003. Les Ougandais repartis, les ADF étaient restées une force dormante dans cette zone de forêt congolaise, s’y mariant et y commettant relativement peu de méfaits jusqu’en 2013.

Massacres et Etat islamique

Cette année-là, on avait assisté à une recrudescence des massacres et attaques qui leur étaient attribués, avec une affirmation plus forte du caractère musulman du groupe armé, suivi par son ralliement à l’Etat islamique, qui a décrété que le groupe armé des forêts congolaise était sa « province centre-africaine ». Des études indiquent qu’une partie des violences attribuées aux ADF ont été organisées par des militaires congolais; d’autres que des Somaliens, Congolais, Burundais, Pakistanais, etc… se sont joints aux Ougandais initiaux au sein du groupe terroriste.

Le 6 mai dernier, le président Tshisekedi avait décrété l’Etat d’urgence en Ituri et au Nord-Kivu. Sans y améliorer la situation sécuritaire, malgré son affirmation de lundi que « les lignes ont bougé ». Le chef d’Etat a décidé d’accepter la demande ougandaise d’intervention militaire dans la zone servant de refuge aux ADF pour « mutualiser les efforts » des deux pays, a-t-il dit. Début novembre, plusieurs attentats en Ouganda avaient été attribués aux ADF par Kampala – une bonne raison de frapper un grand coup au Congo, selon le régime Museveni.

Opération ou pas opération?

Le 29 novembre, le ministre congolais de l’Information, Patrick Muyaya, niait encore toute opération militaire ougandaise au Congo, contrairement à ce qu’affirmaient les réseaux sociaux. Le 30 novembre, cependant, il fallut bien admettre que l’artillerie et l’aviation ougandaises bombardaient une portion de territoire congolais. Et le 1er décembre, de nombreuses vidéos circulaient sur les réseaux sociaux montrant l’entrée de chars et de fantassins ougandais en territoire congolais.

Les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat à Kinshasa assurèrent que cela se faisait à la demande du parlement congolais, mais le député du Nord-Kivu Juvénal Munubo a indiqué qu’il n’en était rien. Il n’y a pas eu de débat comme le veut la Constitution. « Notre Parlement dûment informé, je veillerai à limiter au temps strictement nécessaire à ces opérations, la présence de l’armée ougandaise sur notre sol », a assuré lundi Félix Tshisekedi. L’armée ougandaise, elle, ne peut fixer de date pour son départ.

L’Ouganda se méfie de la Monusco

Ce qui ne manque pas d’alarmer la population locale. Si celle-ci voit avec soulagement l’armée congolaise recevoir l’appoint du pays voisin pour combattre les ADF – à qui des milliers de morts en 8 ans sont attribués – elle se souvient, comme de nombreux Congolais, des méfaits de l’occupation ougandaise (1998-2003).

Le 7 décembre, l’armée congolaise et la Monusco (Mission de l’Onu pour la stabilisation du Congo – 16 000 hommes) signaient une directive pour préciser dans quels domaines les casques bleus poursuivraient leur aide aux militaires congolais, la force onusienne ne pouvant aider une armée étrangère simplement parce qu’elle collabore avec l’armée congolaise.

C’est piquant car, comme le relève un observateur en poste depuis longtemps au Congo, « la Monuc, devenue Monusco, a été initialement déployée au Congo pour observer le retrait des armées étrangères présentes dans ce pays, dont l’armée ougandaise. C’est donc dans l’ADN de la mission onusienne et cela gêne Kampala, qui a un lourd passif au Congo ». Autant dire que les rapports de l’armée ougandaise avec la Monusco sont aigres et que celle-ci est déjà accusée de faire obstruction aux preux Ougandais volant au secours de leurs voisins!

Combien de milliards doit Kampala à Kinshasa?

Cette opération armée ougandaise survient cependant alors qu’on attend toujours que la Cour internationale de Justice de La Haye (CIJ) fixe le montant des indemnités que doit payer l’Ouganda au Congo en dédommagement de l’occupation, du pillage – dans lequel était notoirement impliqué le jeune frère du président Museveni, Salim Saleh – et des exactions commis jusqu’en 2003.

La CIJ avait condamné Kampala à indemniser Kinshasa en 2005; les deux pays devaient fixer le montant d’un commun accord mais n’y sont pas parvenus. Le 16 janvier 2020, le procureur général ougandais, William Byaruhanga, avait déclaré devant une commission parlementaire de son pays que le Congo réclamait « 23 milliards de dollars » et que Kampala avait proposé « 150 millions de dollars », ajoutant que l’Ouganda « risquait gros » si l’affaire revenait devant la CIJ, faute d’entente.

C’est pourtant ce est arrivé, en avril 2021. William Byaruhanga, devenu entretemps ministre de la Justice, y a plaidé que les exigences congolaises – elles seraient de 13,5 milliards de dollars, selon lui – étaient « infondées et extrêmement excessives ». La CIJ doit trancher à une date non déterminée.

Que veut réellement l’Ouganda?

Difficile de croire que Kampala n’y pense pas en accourant « au secours » de son voisin. D’autant que si les autorités ougandaises justifient l’opération en cours par les attentats sur leur territoire début novembre, on se rappelle qu’en mai dernier, déjà, une délégation ougandaise avait débarqué à Beni (Nord-Kivu) pour y mettre en place un centre de coordination des opérations congolaises et ougandaises contre les ADF, délégation conduite par rien moins que le commandant en chef de l’armée, le général David Muhoozi Rubakuba, signe de l’importance du Congo aux yeux de Kampala.

Et que voit-on, depuis l’entrée fracassante de l’armée de Kampala au Congo au début de ce mois? On ne voit plus d’offensive: les militaires ougandais s’installent et ont commencé… à refaire des routes, pour faciliter leurs opérations, indiquent-ils. On se rappelle qu’en 2020, à l’issue d’une visite de Félix Tshisekedi à son homologue Museveni, les deux hommes avaient annoncé trois projets de route reliant les deux pays, « pour faciliter le commerce ».

Marie-France Cros
La libre Afrique

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