15 mois après la mort à Bruxelles d’Etienne Tshisekedi, le pouvoir en place à Kinshasa a enfin autorisé le rapatriement de sa dépouille pour des obsèques nationales au Palais du peuple. Le moment choisi soulève bien des interrogations. Président du Parti des démocrates pour la bonne gouvernance (PDG), parti membre d’Ensemble pour le changement, et également président du regroupement politique, Alliance pour l’alternance démocratique (AAD), le sénateur Modeste Mutinga, exprime ses inquiétudes. « L’accord conclu entre l’UDPS et le pouvoir est un cadeau empoisonné de Kabila à Félix Tshisekedi », révèle –t-il, soupçonnant le pouvoir de tendre un piège au tout nouveau président de l’UDPS.

Mort en février 2017 à Bruxelles, la dépouille d’Etienne Tshisekedi est l’objet de grandes tractations politiques entre l’UDPS, son parti politique, le gouvernement et sa famille biologique. Le 21 avril 2018, les parties en discussions sont parvenues à un compromis qui balise la voie pour un rapatriement de sa dépouille dans les tout prochains jours. Le document, portant le sceau de Mova Sakanyi, vice-Premier ministre à l’Intérieur, André Kimbuta, gouverneur de la ville de Kinshasa, Jean-Marc Kabund, secrétaire général de l’UDPS, et Gérard Mulumba, frère cadet du défunt, met fin à une longue polémique.

Et c’est Mgr Gérard Mulumba qui a lu le communiqué conjoint : « L’État congolais prendra en charge tous les frais. Le Palais du peuple (siège du Parlement), a été retenu pour les recueillements ainsi que les hommages officiels et populaires ». La durée de ces hommages est fixée à « environ 48 heures ». Autre précision de taille, le lieu où reposera le Sphinx : « Dans la concession familiale située dans la commune de N’Sele».

Henri Mova Sakanyi s’est réjoui du fait que les entraves au rapatriement du corps de l’opposant historique Tshisekedi aient été levées : «Nous allons finalement nous exécuter pour que tout se passe dans la paix, dans l’honneur que nous devons rendre à l’illustre disparu ».

LES INQUIÉTUDES DE MUTINGA

Modeste Mutinga, sénateur, président du PDG (Parti des démocrates pour la bonne gouvernance) et président du regroupement politique, Alliance pour l’alternance démocratique, affilié à « Ensemble pour le changement », voit dans la main tendue du pouvoir en place à Kinshasa un piège qui vise directement le président de l’UDPS, Félix Tshisekedi ».

Dans un entretien avec le journal Le Potentiel, le sénateur Mutinga n’y va pas par le dos de la cuillère. « Le moment choisi par le pouvoir pour décanter enfin le dossier du rapatriement de la dépouille d’Etienne Tshisekedi n’est pas un fait isolé. Il tient d’un calcul politique bien ficelé en haut lieu de la Majorité présidentielle », révèle-t-il.

Le président du PDG voit dans l’accord conclu le 20 avril 2018 un piège dont la cible principale se trouve être Félix Tshisekedi, le tout nouveau président de l’UDPS.

Poussé par son flair politique, Modeste Mutinga redoute un retournement de la situation : « Il ne faut pas ignorer que le président Kabila n’a jamais digéré l’échec des négociations entamées dans les coulisses aussi bien à Ibiza, à Paris qu’ailleurs avec l’UDPS. N’oubliez pas que dans toutes ces négociations, c’est Félix Tshisekedi, en sa qualité de secrétaire général de l’UDPS en charge des relations extérieures, qui était au centre. L’échec de ces négociations, avec tout ce que Kabila y a consacré comme énergie, a dérouté tous les plans de la MP. Le président Kabila en garde un mauvais souvenir. Il n’a jamais oublié tout le mal que lui a fait Félix Tshisekedi. Il n’attend donc que le bon moment pour lui asséner un coup fatal qui va consacrer sa mort politique. Est-ce que ce moment va surgir avec cet accord sur le rapatriement de la dépouille d’Etienne Tshisekedi. Je pressens un coup fourré de la MP ».

Ses inquiétudes sont autant plus ravivées par la trêve politique que les parties signataires de l’accord du 20 avril 2018 ont convenu d’adopter. On note qu’au terme de cet accord, l’UDPS s’est engagée à suspendre toute activité politique jusqu’à l’enterrement d’Etienne Tshisekedi. Et Mutinga de renchérir : « Que gagne l’UDPS en échange ? » Le sénateur pense que la majorité au pouvoir attend tirer des dividendes politiques évidents de l’accord conclu avec l’UDPS.

Félix Tshisekedi nouvelle cible de la MP

Après avoir traqué Moïse Katumbi, jusqu’à l’empêcher de revenir en RDC pour participer à la course présidentielle de décembre, la MP a décidé de concentrer ses efforts sur Félix Tshisekedi. C’est la nouvelle cible.

« L’accord du 20 avril 2018 est un marché des dupes qui ne profite qu’à un seul camp, la MP. Félix Tshisekedi n’en tirera aucun bénéfice politique. Bien au contraire. Avec cet accord, la MP a réussi à obtenir son silence contre le rapatriement de la dépouille d’Etienne Tshisekedi. Il lui demandera plus dans les tout prochains jours, jusqu’à le fragiliser politiquement. J’en suis sûr ».

Est-ce que Félix Tshisekedi pouvait refuser l’offre de la majorité au pouvoir qui facilite enfin le rapatriement de la dépouille de son père ? A cette question, le sénateur Mutinga relativise. « Je pense que Félix Tshisekedi n’avait pas de choix. Mais, la MP a bien calibré sa démarche. Le moment choisi n’est pas anodin. Le président Kabila est en difficulté. Il cherche à contourner l’échéance de décembre 2018 en tendant la main à l’UDPS de Félix Tshisekedi. Avec cet accord, il pense assouplir la position de l’UDPS en incluant la famille du défunt dans son jeu politique. C’est très subtil. Cet accord est en fait un troc pour lequel Kabila attend qu’on lui retourne l’ascenseur. Comment Félix Tshisekedi s’y prendrait-il ? C’est là que se situent mes inquiétudes ».

Dans tous les cas, le sénateur Mutinga est convaincu que l’accord sur les obsèques d’Etienne Tshisekedi est un cadeau empoisonné de Joseph Kabila à Félix Tshisekedi. C’est une patate chaude que le président de l’UDPS doit manipuler avec tact en prenant soin de ne pas s’écarter de la dimension politique du geste posé par le président Kabila.

Félix Tshisekedi doit toujours se rappeler la phrase mise dans la bouche de Laocoon par Virgile dans l’Énéide. Elle peut se traduire par « Je crains les Grecs, même lorsqu’ils font des cadeaux ». Elle fait référence au Cheval de Troie. Cette assertion est devenue une locution usuelle et a mené à l’adage populaire « cadeau des Grecs ».

L’accord conclu le 21 avril n’irait-il pas dans ce sens ? Félix Tshisekedi est prévenu…

Le Potentiel

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