Un an après l’avènement de l’historique alternance pacifique en République Démocratique du Congo, la rupture communicationnelle au sommet de l’Etat est sans conteste. Après près de deux décennies marquées par un « profond silence », non sans signification, le Président Félix Tshisekedi, fils d’un tribun, ne loupe pas les occasions, surtout à l’étranger devant les foules, de communiquer sur sa vision du Congo, son pouvoir, ses relations avec son prédécesseur, la coalition entre le CACH et le FCC, ses rapports avec les partenaires régionaux et internationaux, etc.

Ce point frappant lui attire plusieurs faveurs. Autant ça l’expose à des critiques acerbes. Tel le cas de sa récente sortie médiatique à Londres sur l’éventualité de la dissolution, à son initiative, du Parlement. Plutôt que de m’engager dans le très nourri débat en cours sur le bien-fondé des propos du Chef de l’Etat, je préfère questionner le « pourquoi » de ses déclarations faites en pays étranger et à quelques heures de la célébration du premier anniversaire de l’alternance.

Au titre d’hypothèse, je postule pour la mise en œuvre d’une stratégie inscrite dans l’ordre de susciter le renouvellement du soutien populaire en dépit du caractère mitigé du bilan à mi-parcours du quinquennat du Chef de l’Etat. Après un discours sur l’état de la nation qui a semblé exacerber la controverse sur l’action du Président de la République, l’heure est à l’enclenchement du processus de recherche d’un bouc émissaire pouvant justifier le rythme extrêmement lent du changement promis aux Congolais.

Après une année de repérage des signes distinctifs dans un contexte d’apaisement avec son allié politique (le FCC), l’opposition politique (prompte application des mesures de décrispation politique), la toute puissante Eglise catholique, les partenaires régionaux et internationaux, le camp présidentiel donne à penser qu’il est actuellement dans la phase de détecter des signaux négatifs susceptibles de porter atteinte à l’image du Président Félix Tshisekedi dont la communication insiste sur sa détermination à servir sans réserve le peuple. Face à une opposition encore en quête de repères et de discours pour se crédibiliser, le regard est porté sur l’examen de la cohérence de la coalition.

La stratégie du bouc émissaire participe de l’ambition de charger le peuple dans l’optique de l’attribution des signes d’incarnation de l’ « ennemi politique » à anéantir. Relevant du long temps, elle peut viser, par rapport à l’organisation du décideur, les personnes internes et externes, présentées comme des auteurs de l’échec réel ou éventuel de l’action de ce dernier. Ceci amène à propager et à diversifier les objets de la discorde, en en insistant sur le(s) sujet(s).

Pendant longtemps, la RDC s’est projetée au-delà de ses frontières nationales pour identifier le bouc émissaire de ses nombreux maux à la base de sa torpeur. L’alternance semble renverser la tendance en orientant la recherche du bouc émissaire d’abord à l’intérieur du système. Dès lors, il est compréhensible que la démarche consiste à mettre à l’épreuve l’allié de la coalition (le FCC d’une hétérogénéité évidente) dont l’influence non maitrisée pourrait, au pire de cas, nuire à l’image du Président de la République auprès de l’opinion publique nationale et internationale dont les attentes sont de taille.

Reste à savoir si le peuple, au-delà de la base du camp présidentiel, va mordre à cette stratégie, et si les moyens de désignation du bouc émissaire sont à la hauteur du défi afin d’en assurer la puissance mobilisatrice dans la durée. En effet, la réussite consiste à élargir l’assiette des partisans dans la lutte contre la personne physique ou morale mise à l’épreuve à l’effet de l’obtention de son dévouement au bénéfice de la consolidation du pouvoir présidentiel.

C’est très risqué que de s’y engager, sans garde-fous préalables, car il n’y a pas à exclure les effets boomerangs. Non seulement parce que le recours à cette stratégie requiert auparavant de réduire au maximum le risque de subir des accusations sur l’objet de désignation du bouc émissaire mais aussi il impose le développement de la cohérence entre la parole et l’action pour crédibiliser la démarche de celui qui s’y emploie. En donnant à penser de cibler au premier rang le FCC dans la mise en œuvre de la stratégie du bouc émissaire, pour assurer l’ancrage et la solidité de son pouvoir, le camp présidentiel atteste une demande de concessions de plus de la part de son allié, et sa flexibilité à une inédite alliance avec toutes les forces sociales pour mieux résister à ce dernier. Il y va de la menace de dissoudre le Parlement en cas de crise persistante.

Jusqu’où ces forces sociales, politiques et officiellement apolitiques, pourraient soutenir le Président de la République sur cette voie. C’est l’inconnu qui confirme que la politique relève essentiellement du possible. Il n’y a pas à exclure que la stratégie du bouc émissaire conforte le camp présidentiel autant elle peut lui nuire sérieusement. Il lui revient de faire montre d’intelligence stratégique pour mieux maitriser la dynamique des enjeux et des impératifs de l’heure, notamment au niveau sécuritaire et social.

La stratégie du bouc émissaire viserait ainsi non seulement à justifier les ratés de l’an un de l’après alternance mais bien plus à créer les conditions stratégiques de l’atteinte du résultat annoncé : le changement (positif) promis aux Congolais.

JC MWENU
Actualite.cd

LAISSER UNE RÉPONSE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
Veuillez entrer votre nom ici