Analyse par Marie-France Cros

Devant des rangs clairsemés de l’Assemblée générale des Nations unies, mardi, le président hors mandat Joseph Kabila a réclamé le « début effectif » du retrait des casques bleus d’un pays qu’il veut voir en voie d’ »émergence » après ses 17ans de pouvoir.

« En dépit des défis encore énormes (…), je réaffirme le caractère irréversible de la tenue des élections » présidentielles et législatives « à la fin de l’année », a indiqué le chef d’Etat congolais, soit le 23 décembre prochain, avec un peu plus de deux ans de retard sur le prescrit légal. Bien qu’il n’ait rempli aucune des obligations auxquelles avait souscrit sa famille politique par l’Accord de la Saint-Sylvestre 2016 – qui, sous l’égide de l’Eglise, balisait un chemin vers des élections apaisées et crédibles – l’orateur a ajouté que « tout sera mis en œuvre pour garantir le caractère apaisé et crédible du scrutin ».

Les Congolais n’y croient pas

Une promesse à laquelle les Congolais ne croient pas, comme le montrent une foule de marques de défiance depuis la fin du dernier mandat du Président, en 2016, marques qui vont des chansons anti-Kabila dans les stades jusqu’aux manifestations ou, plus récemment, l’appel du Comité laïc de coordination (CLC) à « des élections crédibles ou rien! » , voire le refus du public de l’ex-gouverneur du Maniema, Prosper Tunda, de l’entendre même citer le nom du candidat du pouvoir à la Présidence, Emmanuel Ramazani Shadary, pourtant originaire de la province: « Ne le cite même pas, on ne l’aime pas! ».

Devant des rangs très clairsemés de l’Assemblée générale de l’Onu – qui témoignaient de l’isolement du chef d’Etat congolais – ce dernier a encore dit que la RDC, « confinée il y a quelques années au rang d’Etat failli, affiche aujourd’hui des ambitions d’émergence incontestable, tant les signaux économiques, sécuritaires et politiques sont encourageants ».

« Le propriétaire » a parlé

Pour ce qui est des signaux économiques, il est vrai que les chiffres macro-économiques se sont améliorés (pendant plusieurs années, le pays a atteint les 7 à 9,5% de croissance annuelle), grâce au boom minier. Mais il y a très peu de retombées pour la population, qui reste parmi les plus pauvres du monde (le PIB par tête est de 1,25 dollar par jour) et devrait se consoler de vivre au pays du « miracle géologique » alors que la famille Kabila s’est considérablement enrichie (le Président n’est-il pas ironiquement surnommé par la population, « le propriétaire », en raison du nombre de ses acquisitions?), ainsi que celles de ses proches. La RDC était, en 2017, le 166ème pays le plus corrompu sur 183, selon Transparency International. Les Congolais, eux, sont de plus en plus frappés par des épidémies (choléra et typhoïde, par manque d’eau potable; malaria; rage canine; peste, fièvre d’Ebola, etc…).

Et si Joseph Kabila avait annoncé, après son élection en 2006, les « cinq chantiers » qu’il allait entreprendre – infrastructures, création d’emplois, éducation, eau et électricité – il n’a que quelques routes à mettre à son crédit une dizaine d’années plus tard. La « révolution de la modernité », qu’il avait annoncée à l’occasion des élections de 2011 – jugées « non crédibles » par les observateurs internationaux – devait transformer le Congo en « un pool d’intelligence et de savoir-faire », « un grenier agricole, une puissance énergétique et environnementale, une terre de paix et de mieux-être, une puissance régionale au cœur de l’Afrique ». Or le pays dépend de plus en plus des importations alimentaires – alors que seuls 10% de ses terres arables sont exploitées – et un nombre grandissant de Congolais dépendent des distributions alimentaires d’ONG ou de l’Onu. Les entreprises minières ne peuvent s’agrandir faute d’électricité suffisante. Violences et massacres vont crescendo et le Congo est diplomatiquement de plus en plus isolé en Afrique en raison de la masse de réfugiés qu’il déverses sur ses voisins.

Multiplication des conflits armés

Car, s’agissant du sécuritaire, le règne de plus en plus autoritaire et égoïste de Joseph Kabila a non seulement failli à rétablir la paix au Kivu, mais a entraîné l’émergence de nouveaux conflits civils au Tanganyika (province issue du démembrement de l’ex-Katanga), dans le grand Kasaï et en Ituri (ex-Province orientale). La criminalité a explosé dans plusieurs grandes villes du pays. Le Président hors mandat, qui vit loin des Congolais, retranché dans son palais et protégé par des troupes partiellement étrangères, ne s’en rend-il vraiment pas compte?

Enfin, Joseph Kabila a réclamé à New York « le début effectif » du retrait de la Monusco (Mission de l’Onu au Congo), forte de 17.000 hommes. « Vingt ans après le déploiement des forces onusiennes dans mon pays et en raison de leurs résultats largement mitigés au plan opérationnel, mon gouvernement réitère son exigence du début effectif et substantiel du retrait de cette force multilatérale ». Nombre de Congolais – notamment au Kivu, où ils sont principalement déployés – se plaignent, en effet, du peu de réactivité des casques bleus face à certains massacres de civils. Mais beaucoup soulignent que « ce serait pire encore » sans eux. Dans tout le pays, alors que le régime Kabila a annoncé son refus de toute observation extérieure des prochaines élections – histoire d’empêcher une constatation objective de fraudes? – des citoyens et ONG soulignent qu’ils seront les principaux étrangers à pouvoir témoigner d’éventuels dérapages.

La libre Afrique

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