En République démocratique du Congo, le procès anti-corruption de Vital Kamerhe, directeur de cabinet du président Etienne Tshisekedi, et figure centrale de la vie politique congolaise, a repris hier à Kinshasa, après la mort soudaine du juge Raphaël Yanyi Ovungu qui présidait les débats.

Âgé de 51 ans, le haut magistrat est mort dans la nuit du mardi 26 au mercredi 27 mai, deux jours après la deuxième audience du procès. Selon ses proches, il était en parfaite santé. La police a évoqué une crise cardiaque.

Les résultats de l’autopsie n’ont pas été révélés officiellement. Pourtant, ils seraient connus. Dimanche 31 mai, Radio Okapi, la radio des Nations-Unies, a révélé que le juge Raphaël Yanyi Ovungu a été victime d’un empoisonnement. Le parquet a confié une enquête complémentaire à des toxicologues dont les conclusions se font toujours attendre.

« Les résultats de l’autopsie devaient tomber 48 heures après le décès, nous ne les avons toujours pas reçus… », explique l’Abbé Patrick Shomba, le frère du défunt.  » Pour nous, ce n’est innocent. Nous pensons qu’il s’agit de manœuvres dilatoires qui visent à éviter de révéler la vérité. Mais ce silence n’est pas rassurant… Nous avons pris acte de ce que les médias ont révélé. L’empoisonnement est une hypothèse que nous n’écartons pas ».

C’est un dossier explosif

« C’est un dossier explosif », confirme une source bien informée. « On a l’impression que les autorités ont décidé de geler la publication des résultats de l’autopsie pour ne pas prendre le risque que la situation ne dégénère. Il y aurait même eu des négociations auprès de la famille du défunt pour qu’elle accepte d’annoncer la cause du décès comme étant une mort naturelle et évacuer l’hypothèse de l’empoisonnement ».

« La famille du défunt – sa veuve et ses enfants – n’est pas en sécurité », confirme l’Abbé Patrick Shomba.

Avant l’annonce de Radio Okapi dimanche, le porte-parole de la présidence a rejeté les rumeurs faisant état d’empoisonnements à la présidence à la suite de multiples décès dans l’entourage du chef de l’Etat. Il a assuré que la plupart des décès étaient dus au Covid-19 et qu’aucune trace de poison n’avait été détectée.

« Si l’hypothèse de l’empoisonnement se confirme », ajoute l’Abbé Patrick Shomba, « nous demanderons à l’Etat congolais ainsi qu’aux institutions internationales compétentes de nous accompagner dans la recherche de la vérité… »

« Malheureusement au Congo », déplore encore l’abbé, « trop d’enquêtes commencent sans jamais aboutir… ».

Y aurait-il eu un intérêt à éliminer le juge Yanyi ?

Il est certain que ce procès est un événement judiciaire sans précédent en RDC.

Dans cette affaire de corruption présumée, Vital Kamerhe comparait avec deux coaccusés dont l’entrepreneur libanais Jammal Samih. L’homme fort de la politique congolaise est accusé d’un détournement de plusieurs millions de dollars d’argent public alloués à la construction de logements sociaux. Des faits que Vital Kamerhe rejette fermement. Il affirme également n’avoir jamais conclu aucun marché de gré à gré avec Jammal Samih.

« Le juge Raphaël Yanyi Ovungu avait reçu des menaces de mort. Cela signifie qu’il était déjà en danger ! Pourquoi l’Etat n’a-t-il pas pris de précaution pour le protéger, sachant qu’il avait entre ses mains un procès très sensible où se croisaient des intérêts de tous ordres ? », s’interroge l’Abbé Patrick Shomba.

« Même à la barre, les témoins disent faire l’objet de menaces de mort, des menaces anonymes », fait remarquer le politologue Dieudonné Wamu Oyatambwe. « C’est dire le climat de menaces qui entoure ce procès ! Quand on regarde les personnalités et les montants qui sont en jeu, c’est compréhensible… Les milieux mafieux libanais, en connivence avec des acteurs politiques congolais locaux, sont réputés pour être des milieux criminels. Même dans l’assassinat du défunt président Laurent-Désiré Kabila, ceux-ci étaient déjà cités. L’économie parallèle, le blanchiment d’argent et la criminalité ordinaire forment un cocktail explosif qui représente une menace permanente à la fois pour la justice et les témoins ».

Ces menaces viendraient-elles de l’entourage de Vital Kamerhe ?

Dans l’opinion publique congolaise, certains considèrent en effet que ces menaces proviennent de l’entourage de Vital Kamerhe.

« Mais il n’y a aucune preuve ! », répond Dieudonné Wamu Oyatambwe. « Selon moi, il ne faut pas minimiser le rôle du milieu mafieux libanais, indo-pakistanais et autres. De grosses sommes d’argent sont en jeu. Ici, c’est Jammal Samih qui est soupçonné d’avoir bénéficié d’un marché suspect. Mais il y a beaucoup d’autres acteurs qui ont bénéficié de marchés et qui peuvent se sentir menacés. Notamment ceux qui ont profité du laxisme du pouvoir sortant… Dans l’entourage de Joseph Kabila, nombreux sont ceux qui sont susceptibles de se retrouver devant la justice. Le fait que l’appareil judiciaire montre une certaine indépendance est une menace pour ces gens-là… »

Vital Kamerhe serait-il au cœur d’un système ?

« De mon point de vue, Vital Kamerhe n’est pas au cœur d’un système, sauf dans le cas de ce procès-ci », répond encore Dieudonné Wamu Oyatambwe. « En revanche, il est le reflet d’un système. Ces dernières années, les organisations de la société civile ont dénoncé les détournements de sommes colossales, notamment avec l’attribution illégale de marchés, ou encore des crédits qui n’ont jamais été remboursés… Les responsables sont connus, mais ils n’ont jamais eu à rendre de comptes ! ».

RTBF / MCP

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