Sama Lukonde est entre le marteau et l’enclume. Trente jours après sa nomination au poste de Premier Ministre, les consultations devant aboutir à la publication de son Gouvernement piétinent. Ces travaux de consultation initiés dès son entrée en fonction mi-février dernier s’apparentent désormais aux 12 travaux d’Hercule.

Dès le lendemain de l’annonce de la rupture de la coalition FCC-CACH au pouvoir par le Président Félix Tshisekedi, des consultations ont été initiés et ont offert au public un spectaculaire défilé des acteurs politiques et civils congolais de tous bords, avec des déclarations d’adhésion plutôt rassurantes au sortir de ces rencontres, laissant croire que désormais les choses couleraient comme de l’eau sous le pont. Peu de temps après, d’aucuns commencent à déchanter. La vision du Chef de l’État, appelée “Union sacrée de la Nation” et qui a conduit à cet exercice auquel se livre aujourd’hui le Premier Ministre, semble avoir du mal à rassembler. L’unanimité de départ a visiblement laissé place aux guerres de positionnement au sein de la classe politique congolaise proche du pouvoir.

À quand le Gouvernement ?

Contacté par Politico.cd, un proche du Premier Ministre sous couvert d’anonymat estime que le retard qu’accuse la sortie du nouveau Gouvernement est tributaire aux querelles intestines des partis et regroupements politiques concernant les postes ministériels. À l’en croire, ces partis peinent à accorder leur violons.

Dans les couloirs des salons huppés, où l’on rencontre la Gotha politique congolaise, l’on apprend de sources sûres qu’une première mouture déposée sur la table du Président de la République n’a malheureusement pas été approuvée. Elle devra donc être revue et retravaillée. L’une des plus grandes questions qui divisent est notamment celle des quotas.

Là où les romains s’empoignèrent

Alors que la population s’impatiente dans l’attente interminable de la sortie d’un nouveau Gouvernement, les esprits s’échauffent déjà au sein de certains états-majors politiques conviés au partage du pouvoir de l’Union sacrée. À l’Union pour la Démocratie et le Progrès Social (UDPS), parti présidentiel, le Secrétaire Général Augustin Kabuya semble dépassé. “J’avais responsabilisé toutes les structures du Parti pour mettre en place des commissions de gestion des ambitions. Mais à notre grande surprise, sur 8 postes, nous avons 72 candidats. C’est comme ça qu’on leur a dit que même les anges ne peuvent pas trancher cette histoire”, a-t-il déploré lors de la cérémonie d’installation du comité fédéral de l’UDPS/Lukunga à Kinshasa.

La tâche est encore beaucoup plus ardue pour l’UDPS que l’on y croit. Tenez bien : “J’avais fait mon rapport au Président du parti et au Chef de l’État. Même les ministres du gouvernement sortant disent qu’ils doivent être reconduits”, s’étonne Augustin Kabuya. Mais là, il ne s’agit encore que de l’UDPS.

Au sein du regroupement AFDC-A de Bahati Lukwebo, Steve Mbikayi du Parti Travailliste (PT) n’a plus sa langue en poche. Après ses querelles avec Bahati autour de la paternité du regroupement AFDC-A, maintenant que la justice a reconnu à Bahati la qualité d’autorité morale, Mbikayi s’est vu dans l’obligation d’accepter une décision judiciaire contre son gré. Et maintenant que c’est à Bahati de parler à Sama au nom de l’AFDC-A, Steve Mbikayi se trouve en mauvaise posture, dans une situation embarrassante.

Virage à 360°. Il crée son nouveau Front Patriotique qui admet comme seul candidat à l’élection présidentielle de 2023 Félix Tshisekedi. Il reste néanmoins au sein de l’AFDC-A mais fait pression désormais sur Bahati Lukwebo, notamment sur les réseaux sociaux. Steve Mbikayi s’indigne du fait que la liste des ministrables envoyée au Premier Ministre a été dressée sans le concourt de son parti. “On a le Deuxième Vice-président de l’Assemblée Nationale et le Président du Sénat pris par l’AFDC-A. Sur les 41 députés,10 appartiennent aux alliés dont le PT est majoritaire. Les alliés ne sont pas associés à la désignation des animateurs dans toutes les institutions comme ailleurs. Dictature éhontée ?”, s’est interrogé Steve Mbikayi. Il dénonce partout sur la toile la “roublardise nationale” qui, selon lui, caractérise Bahati Lukwebo.

Mais il y a aussi les transfuges du parti de Joseph Kabila. Le PPRD Mosaïque de Jean-Charles Okoto et Godard Motemona, par l’entremise de Ngoy Kasanji, tient à ne pas se faire oublier. Ou mieux, à ne pas se faire rouler. Dans la farine. “Par rapport à la stratégie électorale de notre parti, pour avoir plus de députés, il y avait plusieurs partis fictifs qui n’avaient jamais fonctionné et dont leurs présidents étaient désignés par la hiérarchie, mais notre identité reste toujours PPRD (Mosaïque-PPRD) et nous comptons 51 députés. Dans cette logique-là, il ne faut pas qu’on nous réduise. Je solliciterai qu’on nous considère comme Mosaïque et que notre poids politique ne soit déconsidéré”, a-t-il fait savoir le 14 mars dernier, faisant allusion à la répartition des postes.

Cette guéguerre observée ces derniers jours au sein des partis et regroupements acquis à l’Union sacrée ne fait que retarder la nomination des membres du prochain Gouvernement. Pour Maître Odia-Arlette Kashama du Collectif pour le développement et l’unité du Congo (CDUC), la nomination des membres du Gouvernement tardera davantage à cause de la témérité de l’Union sacrée. Selon elle, le salut du pays repose sur l’alliance entre Tshisekedi, Kabila et Fayulu. “Tout le reste n’est que vaste blague”, déclare-t-elle.

Du côté du pouvoir par contre, l’on tente de rassurer. Le Professeur Mbata, député UDPS, estime que le temps pris par Sama Lukonde est justifié. « Il ne peut le faire qu’après avoir consulté les leaders politiques et sociaux, c’est tout à fait normal. Je pense que tout sera prêt mais dans tous les cas, le gouvernement n’entre en fonction qu’après que le programme du gouvernement ait été approuvé par l’Assemblée nationale. Donc, même s’il était constitué aujourd’hui ou après-demain, il n’entrerait en fonction avant l’investiture par l’Assemblée nationale. Dans tous le cas aussi, la session qui commence va investir le nouveau gouvernement », défend-t-il. Cet avis, le député provincial de l’UDPS, Peter Kazadi, le partage amplement également.

Au Palais du peuple, c’est déjà la nouvelle session. La rentrée parlementaire tant attendue devant consacrer l’investiture d’un nouveau Gouvernement a repris ce lundi 15 mars mais, entre-temps, toujours pas de Gouvernement.

Hervé Pedro
Politico

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